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Pas à pas ...
25 avril 2008

LES ZAPATISTES – 5 au 11 mars 2008 (retour au Chiapas, Mexique):

L’ONG Capise (www.capise.org.mx) envoie des « Brigadas de Observacion de Tierras y Territorio », composées de volontaires nationaux et étrangers dans les zones zapatistes pour collecter des informations auprès des villageois des « Basas de Apoyo Zapatistas » (BAZ) sur les confrontations avec les groupes paramilitaires et sur les mouvements de l’armée Mexicaine théoriquement interdits dans les zones zapatistes.

Notre rendez-vous avec Letty à Flores au Guatemala ne nous avait pas permis de participer à ces brigades lors de notre premier passage à San Cristobal. Mais le désir de David d’entr’apercevoir la réalité de ce mouvement connu depuis le soulèvement de l’EZLN (l’armée zapatiste) en 1994 et qui est depuis un mythe pour le militant qu’il est, et l’insatiable curiosité de Gaëlle, aiguisée par des documentaires, nous ont décidé à réaliser ce long aller-retour.

Diane la charnelle et une Scandinave, bénévoles de l’association délivrent sa « capacitacion » (formation) a la Brigade 51 : Nicolas, barbu et mince avec un fort accent argentin peu compréhensible au premier abord ; Matias, Argentin lui aussi, châtain aux yeux clairs, également barbu, une petite dread décorée de fil noir et de perles marrons lui courrant le long du cou ; Cassio, un brésilien barbu lui aussi avec un style Che Guevara bien travaille, Gaëlle et David, mignon petit couple français. Il est clair que nous dénotons un peu de la « clientèle » habituelle de l’ONG, généralement composée de bit-niks aux longues rastas ou de militants aux engagements visibles sur leur gueule, dans leurs attitudes et leurs accoutrements !

Il nous fallait, pour partir avec CAPISE, la recommandation d’une autre association se portant moralement garant de nous. Nous obtenons celle du groupe des Eclaireuses et Eclaireurs de France du groupe de Bègles, au foulard rouge et noir, et qui a eu une grande influence sur David, et celle du Collectif pour l’Egalité des Droits de Cenon, dont Maurice, l’oncle de David, est un des membres fondateurs. C’est un petit clin d’oeil que nous lui envoyons ainsi.

Jeudi 6 mars 2008 :

Apres un trajet sans histoires, nous arrivons a La Garrucha, l’un des 5 Caracoles du territoire Zapatiste, l’équivalent d’une préfecture. Prévenus par Capise du changement d’espace temps en entrant en territoire Zapatiste, nous établissons notre base à la petite cafeteria du village. Nous avons tout le loisir de contempler les fresques naïves et colorées dessinées par les militants étrangers de passage, a la gloire du mouvement de l’EZLN, et des figures mythiques : Emiliano Zapata, Che Guevara et le Subcommandante Marco. Ces dessins se rencontrent dans chaque gros village Zapatiste. De petits soldats encagoules parcourant la montagne et les champs de mais côtoient les sigles révolutionnaires et des personnages plus surréalistes comme cette lectrice a la chevelure tentaculaire illustrant une bibliothèque communautaire.

A 22h, et après une attente d’une dizaine d’heures, Matias et Cassio, qui se sont affirmes comme les « politiques » de la Brigade 51, recueillent notre ordre de mission. Nous sommes mandates par la Junta del Buen Gobierno pour aller recueillir des informations a San Manuel via le village d’Emiliano Zapata ou les autorités locales ont été averties de notre prochain passage, c’est sur.

Vendredi 7 mars 2008 :

Nous arrivons a Emiliano Zapata ou le responsable local, absolument pas au courant de notre arrivée nous accueil le visage perplexe. Nouvel après-midi d’attente, mais cette fois nous pouvons profiter de la fraîcheur d’un rio. Apres la baignade, Matias et Cassio continuent en binôme les discussions politiques de la veille, Nico discute avec un jeune villageois, Gaëlle dessine et David ne fait pas grand chose. Des jeunes baignent et lavent leurs chevaux. Ils ne sont pas peu fiers de leurs bêtes, dont seuls les « finceros » (gros propriétaires terriens) étaient propriétaires avant l’avènement du mouvement Zapatiste. En fin d’après-midi, nous partageons notre café en compagnie de 2 « compas » Zapatistes. La nuit tombe rapidement laissant la conversation se poursuivre sans visages. Nous obtenons enfin quelques clés sur le fonctionnement des BAZ.

Les « communidades » sont regroupées dans des « municipios », eux-mêmes regroupés par « Caracoles » ou siégent les « Juntas de Buen Gobierno », autorités de chaque « Caracole » qui se réunissent de temps en temps. Chaque « Junta » est surveillée par un comité d’éthique.

Les terres reprises aux « finceros » suite au soulèvement de 1994 sont communes. Elles sont distribuées aux paysans, sur demande, par les autorités de la « communidad ». Les fils ont priorité pour l’obtention des terres ayant appartenues à leur père. Les « campesinos » (paysans) partagent leur temps de travail entre leur lopin de terre propre, 2 semaines sur 3 environ, et la terre commune, 1 semaine sur 3. L’essentiel des terres est consacre a la culture des haricots noirs et du mais. Les produits de la terre commune sont utilises pour financer les projets de la communauté et venir en aide aux personnes en difficulté (maladie par exemple). Leurs principaux axes de développement sont l’éducation, la santé et le travail des terres. L’acquisition d’un tracteur fait partie des projets encore hors de portée. La terre est pour l’instant travaillée à la machette. Pour la réalisation de projets communs à plusieurs « communidades », chaque village contribue en main d’oeuvre et probablement en argent. Nos interlocuteurs viennent d’une « communidad » proche avec une quinzaine d’autres hommes, pour aider à la construction d’un clinique durant 3 jours.

Dans chaque village existent des coopératives d’hommes et de femmes. On devient coopérant a partir de 15 ans et on est alors sollicite pour les taches collectives et les événements de la communauté. L’alcool, qui était un des modes de paiement des paysans par les « finceros », a été banni par les femmes.

Avant 1994, ces paysans ne vivaient pas dans des villages, crées par les Zapatistes, mais éparpillés géographiquement dans des « fincas » (grosses propriétés agricoles), salaries et dépendants des « finceros ». Ceux qui préparaient la lutte se réunissaient alors clandestinement la nuit.

Les membres de la Brigade 51 boivent les paroles de ces « compas » comme du petit lait. Ces paysans, aux cultures de subsistances, nous montrent par l’exemple qu’effectivement « un autre monde est possible ».

Mais, la situation actuelle est qualifiée de guerre de « basse intensité ». Face à l’impasse que représentait l’option militaire, gouvernement et « finceros » tentent de monter les paysans les uns contre les autres. D’ou l’« apparition » de groupes de paysans manipules, avec les branches paramilitaires, qui revendiquent des terres récupérées par les Zapatistes. Ces paysans ont soit reçu des crédits, qu’ils doivent rembourser, pour acquérir des titres de propriété sur des terrains appartenant aux communautés Zapatistes, soit reçus directement en cadeau des « généreux finceros », déjà indemnises par le gouvernement Mexicain pour la perte de leur terre, ces mêmes titres de propriété. D’ou des confrontations et des tensions avec les communautés Zapatistes, s’accompagnants d’intimidation, d’agressions verbales, voire physiques.

Ces manipulations violent les accords de San Andres, conclus entre les représentants Zapatistes et une commission composée de représentants des principaux partis mexicains et du gouvernement. Ces accords stipulaient entre autre la reconnaissance de l’appartenance des terres aux communautés Zapatistes et l’interdiction des mouvements de l’armée mexicaine dans les zones zapatistes. Pour la petite histoire, un des articles de la constitution mexicaine garantissait le droit des communautés indigènes a disposer de leurs terres communautaires et n’a jamais été mis en pratique avant d’être récemment purement supprime pour complaire a l’  « Oncle Sam » et aux visées de ses grosses entreprises sur ces territoires et leurs richesses naturelles.

Le gouvernement mexicain avait initié ces négociations. Il n’en a jamais ratifié les conclusions. Pour l’instant, il n’attend qu’une chose : que sa stratégie de pourrissement amène l’EZLN a agir contre les groupes paramilitaires, ce qui justifierait, une bonne campagne de com’ aidant, une répression sanglante qu’il ne peut pour l’instant se permettre.

Apres cette passionnante discussion, la Brigade 51 s’attelle a la longue et difficile tache de faire cuire des pâtes au feu de bois dans une ambiance de compagnonnage ! A cote, nous découvrons plus tard une vingtaine d’hommes les yeux rives sur la télévision installée sous un préau, passant un film policier des années 70 ou les protagonistes tombent comme des mouches sous les coups de revolver. Leurs paroles, recouvertes par le brouhaha du groupe électrogène, sont a peine audibles. 

Samedi 8 mars 2008:

La silhouette fluette de Moises, fine moustache et sourire franc fait sa discrète apparition au matin de la 3eme journée de la Brigade 51. Venu de La Garrucha, il a fait un crochet par Emiliano Zapata pour nous accompagner jusqu’à San Manuel, notre objectif et son village où il est également responsable de la sensibilisation a l’éducation. Rencontre importante, il ajoutera la dimension humaine à ce projet par sa dignité, sa simplicité et sa malice. Un trajet en pick-up, au milieu des chapeaux et des bottes de cow-boys (Gaëlle est la seule femme a bord) et une courte marche sous une pluie légère qui arrose de vertes collines rappelant les pentes douces des Basses-Pyrénées béarnaises nous amène jusqu’a San Manuel.

La, 8 familles zapatistes ont maille a partir avec 28 familles d’une autre communauté occupant une partie de leurs terres. Ces 28 familles se sont installées sans permission sur ces terres récupérées et ne respectent pas les 3 règles des communautés zapatistes :

1-    Participation aux travaux communs

2-    Ne pas légaliser la terre

3-    Ne pas contracter de crédit avec le « Mal Gobierno »

De la partie Zapatiste du village il nous faut 600 mètres a peine pour atteindre les terres occupées par les anti-zapatistes et saisir toute la complexité de la situation. Nous avons face a nous de petites maisons, pas plus riches que celles des zapatistes toutes proches, ou vivent des paysans qui ont probablement les mêmes préoccupations que les « compas » qui nous reçoivent. Ceux-ci n’ont aucunement l’intention de faire la guerre à ces frères manipulés, sans pour autant digérer l’occupation et la légalisation de ces terres, récupérées au prix de tant de sacrifices et de sang verse. Des propositions de consensus ont été faites mais ce sont heurtes au refus de dirigeants anti-zapatistes « jusqu’au boutistes ». Moises nous amène la pour que les anti-zapatistes nous voient, ce qui calme leur agressivité nous dit-il. Sur le retour, nous discutons sympathiquement avec 2 petits propriétaires (les zapatistes n’ont récupéré que les terres des gros propriétaires) qui vivent entre les 2 communautés.

« ... Je passe tout le début de soirée en compagnie de Marina et Udelia, 2 petites filles pleines de vivacité. Nous passons beaucoup de temps à analyser et décrire les photos de France sur petit album que nous voyons et re-voyons a la lueur de ma torche. Puis nous rions aux éclats dans un jeu de chatouilles, de mains et de bras de fer. Je pleure de rire... » (Gaëlle).

Moises nous raconte avec malice les réunions secrètes (même pour sa femme) d’avant 1994 et comment le 1er janvier de cette année là il est allé, une cagoule sur la tête, avec une centaine de « compas », déloger le « fincero » qui l’exploitait pour le simple principe, pourtant si peu applique que la terre appartient a celui qui la travaille. Depuis, la communauté travaille a obtenir ce que le gouvernement ne lui a jamais donne : école, centre de santé, électricité (solaire). Puis il sort sa guitare pour nous jouer et nous chanter des airs Zapatistes malheureusement un peu gâchés par l’accompagnement tintammaresque de notre ami Cassio qui bat fièrement le rythme a l’aide d’un épi de mais sur une assiette en fer. Nous savourons cet instant de partage.

Dimanche 9 mars 2008 :

A notre lever, de petites têtes dépassent de la barrière de bois qui cercle l’école dans laquelle nous avons passe la nuit. Les enfants, le regard perçant de curiosité, nous font la joie de leur présence des notre réveil. Leur regard s’attarde sur le moindre détail et l’étonnement se lit sur leurs visages a le vue de nos gadgets : les matelas gonflables, la couverture de survie dans laquelle est emmitouflé Nico tel un gros bonbon, et bien entendu nos appareils photo numériques qui semblent les fasciner. Le 4eme jour de la Brigade 51 est une journée de réalisation. Nous commençons par un entretien, avec le formulaire de Capise, de Moises accompagne de son fils, tous deux encagoules. Puis nous nous dirigeons au pas de course vers Benito Juarez ou nous réalisons un second entretien avec 6 hommes et une fillette, encagoules ou le visage cache par un foulard. En hauteur, le village offre une jolie vue sur les montagnes depuis un terrain dégagé que parcourent les femmes en d’incessants allers-retours pour se rendre à l’unique point d’eau. Ici, un petit groupe d’anti-zapatistes passent par le village pour aller chasser armés de pistolets. L’un d’entre eux n’a pas 16 ans. A chaque passage, ils menacent ou intimident la population. Nous rejoignons enfin Patria Nueva, en traversant un hameau anti-zapatiste sous le regard indifférent de ses habitants. Là, la communauté des hommes, avertis au son de la conche, se réuni sous un ciel lardé de nuages étirés par le vent et coloré par le feu du soleil couchant. Dans une ambiance studieuse, ils conviennent des réponses à apporter à nos questions. Nous avons expérimenté en direct leur système démocratique de prise de décision et comprenons à présent un peu mieux les temps d’attente que nous avons vécu. La nuit venue, leur délégué, un homme aux allures de nounours, une nouvelle fois encagoulé, répond à nos questions sous la faible lumière du porche de l’église, en reprenant ses notes ramassées sur un petit bout de papier qu’il tient dans ses grosses mains.

La soirée de la veille, l’aboutissement de notre mission dans cette journée d’entretiens et le confort rudimentaire partagé ont soudé les membres de la Brigade 51. Au fil de ces quelques jours, de manière perceptible, un compagnonnage s’est tisse entre nous autour de ce projet commun dans le respect des différents horizons qui nous avaient amenés jusqu’ici. La connivence et une franche amitié règne maintenant dans la bande. Pour cette dernière soirée, Nico, Gaëlle et David sont absorbes par leurs expériences photographiques des étoiles et les effets que nous réalisons à l’aide d’une torche et du mode « Pose B » de l’appareil photo tandis que Matias et Cassio n’en finissent pas de refaire le monde. Nous nous endormons sur les bancs de l’église que nous avons rapproches en sentant déjà que la séparation sera dure.

Lundi 10 mars 2008 :

On quitte Patria Nueva à 4h du matin pour Ocosingo ou nos routes se sépareront. Nos 3 compagnons retournerons à La Garrucha et resterons 2 jours de plus en territoire zapatiste pour achever la semaine règlementaire que dure une Brigade alors que nous partirons pour San Cristobal. Nous nous étions engagés auprès de Capise a revenir pour 1 semaine, mais 3 jours d’une « mission spéciale » (dont nous ne pouvons pas parler ici car classée « SECRET-DEFENSE », tchut tchut pas un mot !) en ont amputé une partie... d’ou notre retour anticipé.

Les adieux n’en restent pas moins joyeux. Arrives a 8h du matin a Ocosingo, nous déjeunons d’un bouillon de viande. L’ambiance est joviale, nous rigolons de l’estomac fragilisé de Nico. Cassio et Matias se retiennent même de parler politique. On trinque gaiement a la santé de la Brigade 51 en s’enfilant des tacos garnis de viande grasse. Nous essayons un peu tous de retenir le temps mais nous finissons par accompagner nos compagnons jusqu’au « collectivo » qui les conduira a La Garrucha.

« ... De retour a San Cristobal, je me sens comme après un camp Eclais : l’impression d’avoir vécu un moment d’humanite intense qu’il sera dur de faire partager ... » (David).

« ... La fatigue du moment et l’enchaînement des derniers jours me donnent la sensation d’être aspirée dans un tourbillon d’événements, de rencontres et de lieux dans lequel je n’ai plus mes repères. Apres ces quelques jours de découvertes exaltants je flotte, un sentiment ambigu, entre nostalgie et excitation a l’idée de repartir... » (Gaëlle).

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