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Pas à pas ...
1 avril 2009

BOBO-DIOULASSO - du 10 janvier au 20 février 2009

Le samedi 10 janvier, nous voilà en route pour la ville au doux nom de Bobo Dioulasso au Burkina Faso. Reconnue comme une ville africaine où il fait bon vivre, c'est ici que nous avons décidé de faire notre halte d'un mois et demi. Les motivations sont nombreuses et variées: recharger les batteries après ces 2 mois de vadrouille à travers le Mali et le Niger, vivre le quotidien d'une ville africaine, y trouver des repères, prendre des habitudes, faire de certains visages des visages familiers et surtout, motivation principale de Gaëlle, apprendre les techniques de l'artisanat local.

Mais le 10 au matin, nous ne sommes pas au bout de nos peines. La compagnie de bus Maisadjé semble avoir mis à disposition en exclusivité pour ce trajet qui va jusqu'à Bamako au Mali, son bus le plus défoncé. Installés au fond du bus, nous passons les premières heures à encaisser les nids de poules en faisant des bonds de 20 cm de haut. Le chauffeur décide enfin de faire une halte pour, attention, "ressouder" quelque chose quelque part au niveau des amortisseurs! Petite opération qui durera 4h et que nous renouvellerons plus tard dans la soirée. Une fois un côté achevé, c'est l'autre qui se casse la gueule. A bout de force et de solution, le chauffeur annonce aux passagers que la nuitée se passera dans le bus à l'arrêt, on verra demain. In challah! Au petit matin, dépités, nous sommes contrains d'abandonner l'équipage pour prendre un autre bus pour faire les quelques 150 km qui nous séparent de Bobo Dioulasso, bientôt rejoints par d'autres passagers en colère. Nous atteignons Bobo, épuisés après un trajet de 19h qui n'en nécessitait que 8, bienheureux de laisser de côté et pour un long moment les transports en commun.

Un tour des hébergements de la ville proposés par nos guides nous convainc de prendre une chambre à Villabobo, adresse de chambres d'hôtes obtenue par un couple rencontré plus tôt à Bamako. Effectivement l'endroit fonctionne au bouche à oreilles, le portail de la villa ne présente aucun écriteaux, tranquillité assurée. Babil, 25 ans, les yeux en amendes qu'il a hérité de sa mère tunisienne nous ouvre les portes avant le retour de France de Xavier le soir-même. Celui-ci, la quarantaine, a le visage du bon-vivant, le regard éclairé par deux petites billes bleues. Grande gueule qu'il assume, il semble avoir vécu plusieurs vies dont celle de cuisinier que nous aurons l'occasion d'apprécier en sauces aigres-douces et plats aromatisés aux huiles essentielles.

Le loyer négocié et les conditions d'accès à la cuisine posées, nous déballons nos affaires que nous nous faisons un plaisir de ranger et d'ordonner dans de véritables placards. La chambre propre et agréablement meublée accueille un vaste lit coiffé d'une moustiquaire. Attenante à la chambre se trouve la salle de bain "à l'européenne" partagée. La villa, de forme rectangulaire, est partagée en un immense salon-salle-à-manger, une grande cuisine, 3 chambres pour les hôtes, 2 salles de bains et les "appartements" de Babil et Xavier.
Une grande véranda fermée par une moustiquaire s'ouvre sur un petit jardin vert et fleurie qui abrite un kiosque au toit de paille traditionnel et une piscine en fond  de mosaïque de petits carreaux bleus dégradés. C'est aussi le terrain de jeux de Mao et Trou duc, la petite chatte chétive au cou dégarni par le second, un jeune chien à poils roux qui s'amuse à traîner sa compagne de jeux par la tête.

Bref, l'endroit est propice au repos et nous passons les deux premières semaines à remplir notre premier objectif: recharger les batteries à coup de 10/12h de sommeil par nuit.

Le temps fil, entre baignade, lecture, scrabble avec Angeline, la dame de la n°3, les courses au petit marché Saint Etienne chez nos 4 maraîchères préférées et l'achat de 2 magnifiques vélos de ville bleus dits "ordinaires", Made In India, tous neufs mais aux roues voilées et freins un peu défectueux.

LE STAGE DE BRONZE : 9 jours

La troisième semaine, Lasso nous accueille dans son atelier familial de sculpteurs bronziers et nous remet entre les mains de de son frère Ibrahim pour notre stage de bronze selon la méthode de la cire perdue. 

Tous les matins, nous enfourchons nos bicyclettes et prenons à gauche sur le "6 mètres" (bande de latérite perpendiculaire à la route goudronnée), traversons un premier "goudron" (route goudronnée), un deuxième, puis empruntons la 3ème vers la gauche en direction du centre ville. La route est bordée de petits commerces, cabanons aux toits de taule et aux marchandises colorées débordantes, de meubles alignés à côté de l'atelier de menuiserie, de petits maquis et buvettes quasi-inexistants au Mali et au Niger, l'Islam y étant plus présent. Chacun s'affaire, des femmes en file indienne se suivent, le port haletiez, la tête chargée de gros sacs de riz en équilibre parfait, des écoliers en uniforme beige se pressent. Sur la route, beaucoup de cyclistes, un jeune homme s'acharne sur un âne qui traîne une charrette, des femmes, boubou au vent et bébé dans le dos ou devant en appui sur le guidon, se croisent. Sur les trottoirs, un défilé de couleurs chatoyantes sur fond de terre rouge: petits vendeurs de beignets, patates douces, arachides... L'atelier se trouve un peu avant la Mairie et le Grand Marché bordé de parkings à deux roues où débordent motos et vélos. L'endroit est quadrillé de petits commerces en tous genres. La musique accompagne la foule qui tente de se frayer un passage.

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Ibrahim est un homme de petite taille. Il ne se sépare jamais de l'allumette qu'il tient au coin de ses lèvres surmontées d'une fine moustache et encadrées de deux petits renflements des joues provoqués par la chique qui lui déforme le visage et lui noirci les dents.  Peu pédagogue mais patient, il supporte notre insistance à vouloir absolument tout faire tous seuls et le perfectionnisme, parfois exaspérant, de Gaëlle.

Le principe de la cire perdue est ingénieux et se déroule en plusieurs étapes:

1/ RÉALISATION DES PIÈCES EN CIRE D'ABEILLE: jours 1 à 3

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La première étape consiste à modeler notre pièce avec la cire d'abeille, qui, approchée de la chaleur d'un petit foyer se ramollie et se travaille comme de la pâte à modeler. Nous prenons tellement de plaisir à sculpter la matière et à faire parler notre imagination que nous enchaînons pièce après pièce jusqu'à épuisement de la cire au 3ème jour! A la fin de cette étape, Ibrahim pose lui-même les "tiges à couler" en cire sur nos pièces, opération délicate, car elles serviront à la bonne évacuation de la cire fondue et de l'air au moment de la cuisson du moule.

2/ RÉALISATION DU MOULE: jours 4 et 5

090315_Burkina_et_Togo_1009La seconde étape du moulage est tout aussi intéressante.
La préparation de l'argile qui sert à la réalisation du moule est sportive: il faut tout d'abord broyer la toile de jute dans un mortier à grands coups de hache africaine. Celle-ci est ensuite mélangée à du sable (le notre étant, pour la petite histoire, aromatisée à l'urine!) et l'argile sec récupérée dans le lit de la petite rivières presque asséchée qui traverse la ville. Le tout est malaxé avec de l'eau puis homogénéisé à coups de masse! Un processus long et physique!

Libérés du souci de créativité, notre esprit se concentre sur la technique en prenant bien soin d'appliquer la première couche fine du mélange argileux de façon à ce qu'elle pénètre bien dans tous les recoins afin de reproduire la pièce en cire dans les moindres détails. L'instant est émouvant, nous voyons notre pièce disparaître petit à petit sous nos yeux. 090315_Burkina_et_Togo_1020

Une fois la première couche du moule sèche, on passe à la deuxième, plus épaisse et régulière avec une pâte d'argile contenant plus de toile de jute pour la résistance lors de la coulée.

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3/ LA COULÉE: jour 6

Au 6ème jour arrive enfin le moment tant attendu de la coulée. Les moules sont d'abord chauffés pour faire fondre la cire qui est alors récupérée (rien ne se perd!) puis ils sont installés dans le feu recouvert de charbon pour les cuire et les monter en température pour éviter le choc des température, lors de la coulée, entre le moule et le bronze liquéfié. 

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Pendant ce temps, le four est allumé : un trou creusé dans la terre légèrement recouvert d'une paroi en terre en forme de demi igloo et dont le fond est alimenté en air par un conduit creusé à l'horizontal et à travers lequel souffle un petit ventilateur branché là pour l'occasion et que l'on devine anciennement actionné par un système de pédales.

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Le bronze, à ce moment précis n'est qu'un amas de ferraille récupérée chez le ferrailleur: robinets, vieux bracelets, plaques d'étain, une pièce de monnaie française de 1940... Tout ceci est installé dans le creusé qui lui-même est disposé au fond du four dont la température doit monter, nous dit-on, jusqu'à 1200 °C.

Tous les gens de l'atelier sont présents : il y a les 3 jeunes (Karim, Boubakar et "Le vieux"), les plus âgés (Kadafi, Balagui, Lasso et Kossi), mais aussi Xavier et ses 2 amis Bertrand et Kevin.
Pour cette étape, nous sommes obligés de laisser faire les "pros". Kadafi s'occupe de la coulée, faisant des allers-retours entre le creusé et les moules, chauds, installés droits, légèrement enfoncés dans les graviers. Ibrahim, lui, est à la "récupération", prêt à ressouder un moule éclaté. Les jeunes, eux, disposent, tiennent les moules, les réchauffent... C'est l'effervescence, il faut aller vite et faire bien d'autant qu'il y a des spectateurs car tout se déroule dans la rue, devant l'atelier.

Une demie heure plus tard, on refroidi les moules à l'eau froide. Angoisse et excitation se mélangent. A coups de marteau, on brise les moules: tout est bien sorti, soupir de soulagement!

4/ LE LIMAGE ET LE PONÇAGE: jours 7 et 8

Nous quittons la petite table de bois installée sous le préau devant la boutique de l'atelier sur laquelle nous avons passé la semaine à malaxer et mouler pour prendre place de l'autre côté du petit muret, sous le toit de taule, où sont entassés les vieux moules en attente de moyens financiers pour pouvoir les couler. A côté , la table des jeunes qui travaillent en silence, souvent interrompus pour rendre service à un aîné : chercher de l'eau, à manger, acheter ceci, cela... être petit "frère" en Afrique c'est obéir à son aîné sans broncher jusqu'à trouver plus jeune pour se faire remplacer.

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C'est donc ici que nous procédons à la longue et fastidieuse tâche du limage de nos pièces; d'autant plus longue et épuisante que le matériel est sommaire et que la chaleur se fait de plus en plus intense.

5/ LA PATINE:

Enfin, ultime étape, celle de la patine (pour donner aux pièces un aspect ancien). Ici, faute de moyen on patine à la fumée, donc uniquement en noir, en recouvrant les pièces limées et polies de cartons que l'on brûle jusqu'à ce que les pièces soient complètement noircies. Ensuite on ponce les parties que l'on souhaite faire briller.

Au terme de cette étape, nous remercions chaleureusement Ibrahim, professeur bougon, qui s'est donné tant de mal pour nous satisfaire.

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Après quelques jours de repos, nous reprenons chacun une activité: Gaëlle un stage de Batik (teintures sur tissu réalisées à partir de dessins à la cire) et David un stage de Bogolan (peinture sur tissu à base de pigments naturels).

"Parfait Koné, Burkinabé élancé de 37 ans, est mon professeur de Batik pour 3 jours 1/2. Je l'ai rencontré par l'intermédiaire de l'atelier de bronze. Il est un peu réservé, attentif et présent juste ce qu'il faut. Le matin, je file à vélo  chez lui, dans le quartier de Sarfalao, une petite pièce autour d'une cour de concession familiale. Ni femme, ni enfants : il ne veut pas s'embêter avec ça. La radio RFI accompagne ma créativité matinale, puis quand il en a marre d'entendre parler de Sarko et Obama, on passe au CD de Ragga ou Reggae...J'avais prévu des 1/2 journées mais je ne résiste pas et je fais de bonnes journées complètes, le nez dans la cire, incapable de m'arrêter. Un bonheur!" (Gaëlle)

"Même si je l'avais déjà ressenti, j'ai eu comme une révélation à Bobo: l'Afrique est l'école de la bonne humeur et de l'art de la palabre. En prenant les événements et en abordant les gens avec ces armes nécessaires et presque infaillibles tout devient plus facile et agréable. On accèpte alors mieux le déroulement des événements pas toujours prévisibles et souvent plein de surprises; qu'elles soient bonnes ou mauvaises!" (Gaëlle)

Quitter Bobo n'est pas facile. On y a pris des habitudes, fait quelques rencontres, et penser aux transports en commun nous fatigue d'avance! Mais après 6 semaines, un peu encroutés certes, nous sommes fin prêts à avaler encore quelques km, et autant de pousisère, à saliver devant les paysages qui vont défiler sous nos yeux, savourer nos dernières rencontres, provoquer nos dernières aventures, dévorer notre liberté et déguster cette réaction quasi-hystérique que provoque la vue de nos peaux blanches sur les enfants dont les yeux s'équarquillent et un sourire blanc vient fendre leur visage ébène; le tout accompagné du chant répétitif "toubabou! toubabou!" ("le blanc! le blanc!").

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