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Pas à pas ...
19 novembre 2008

DE EKI-NARYN A NARYN : Jour 10 à jour 15

Premiers pas seuls. "Je me sens fier et puissant en guidant simultanément mes deux chevaux, Gaston et Rakam, surtout dans les sentiers un peu étroits, avec du dénivelé." (David)

Nous longeons un de ces magnifiques cimetière musulman aux tombes en forme de petites maisons de terre sèche, carrées, souvent hérissées de créneaux, l'un d'eux surmonté d'un croissant et d'une étoile. Premières hésitations, seuls, sur la route à suivre. Nous sortons cartes, boussole, et GPS, dans une ambiance studieuse et concentrée. Nous passons une petite rivière qui marque l'entrée dans le parc national de Naryn. Un berger nous scrute avec ses jumelles. Après deux heures de route, nous quittons le sentier principal et surplombons une large vallée. Les flans de cette vallée, qui nous séparent de la rivière coulant loin en contrebas, sont couverts de forêt. On décide de descendre sans faire trop attention aux panneaux délivrant des messages obscures pour nous, puisque écrits en cyrillique. Arrivés aux abords de la rivière, un homme ventripotent nous fait signe de venir, depuis sa petite maison en rondins de bois. Concertation. On va le voir. Kurmanbik est gardien, écologue selon l'appellation locale, au parc national. On comprends qu'il nous demande nos permis d'accès au parc. On joue l'innocente incompréhension et mimons l'épuisement de nos montures. Il nous autorise à nous poser près de la rivière dans un bel endroit plein d'herbe pour nos bêtes. En aval, de massifs escarpements plongent dans un coude de la rivière. La forêt nous domine, et la présence d'un écologue nous rassure pour cette première nuit seuls.

Le lendemain, David va négocier une nuit de plus sur place, mais il n'y a rien à négocier. Kurmanbik lui propose de suite de rester nous reposer et de ramener Gaëlle, trop fine selon lui, pour que nous déjeunions avec lui, sa femme, Teüleün, son fils, Akjol, et son petit-fils, un bébé, Jouart. Traditionnel thé, servi dans un traditionnel samovar. Un samovar est une grande coupe argentée avec un robinet basic d'où coule le thé, fermée par un couvercle surmonté d'un tuyau généralement rouillé, équipé d'une poignée. On sort le tuyau pour introduire le bois débité en petits morceaux et on le remet pour que la fumée s'échappe au dessus des têtes. Le thé est accompagné de confiture, de beurre, et d'aïran (entre le yaourt et le fromage blanc). Kurmanbik, un oeil infirme, légèrement plus bas que l'autre, a des airs de gorille lorsqu'il déplace sa grosse carcasse à quatre pattes dans son petit intérieur. Comme de nombreuses personnes de sa génération, il doit avoir entre 40 et 50 ans, il regrette l'URSS qui fournissait selon lui machines et progrès. Il nous montre ses relevés météorologiques quotidiens où il consigne, entre autres, l'état du temps, sous forme de dessins schématiques dans de petits carrés. Nous enrichissons notre dictionnaire franco-kirghize. Le reste de la journée passe en réparations et réorganisations de nos sacoches, lessives, et douches revigorantes dans la rivière.

Le lendemain, Kurmanbik nous invite une nouvelle fois à petit-déjeuner. Mais il a ramené, probablement de sa virée à Tach-Bachat la veille, une bouteille de vodka. On trique verre sur verre. Ils sont aussi contents de nous recevoir que nous d'être invités dans l'intimité d'une famille kirghize. On part en offrant notre première tour Eiffel en porte clefs, non sans un dernier toast, en selle sur nos chevaux. La chevauchée, ce matin là, se fait sur un petit nuage de bonheur, aux vapeurs d'alcool certes!

Il nous faut trois jours pour traverser la vallée allant de Tach-Bachat à Naryn. L'endroit est peuplé, et chaque  soir se pose le même dilemme. Pour trouver où dormir, on part à l'écart des villages où les terrains herbeux ont souvent l'air d'appartenir à quelqu'un et les terrains n'appartenant visiblement à personne n'ont pas d'herbe. Les habitudes s'installent. Chaque soir, déchargement des sacoches, plantage des piquets auxquels nous relions nos chevaux par une corde et un noeud savant que nous a enseigné Adilet, selles et tapis sont laissés un moment sur les montures, le temps que leur dos soient secs, puis au crépuscule on les mène à la rivière pour boire, parfois, petit plaisir, en les montant à crue, avant de changer les piquets de place pour leur donner de la nouvelle herbe à brouter pour la nuit et en les rapprochant de la tente. Entre temps nous avons déjà mangé et fait un brin de toilette. Un jour sur deux, c'est nouilles chinoises, l'autre jour un féculent (orge appelé localement "grishka", riz, ou pâtes) préparé avec des oignons et des légumes quand on en a, c'est à dire les 3 ou 4 jours suivant un ravitaillement. Au petit déjeuner, le thé est accompagné de montagnes de biscuits, de miel, et de pain quand on en trouve ou que l'on nous en donne. Le midi, fruits secs et halva, pain, fromage, et légume s'il y en a.

Avant la ville de Naryn, nous bifurquons vers le sud pour éviter l'agglomération. Rosh nous avait prévenu qu'ici les petites vallées sont nombreuses et le chemin difficile à trouver. Nous nous perdons. Après un sentier raide et un champ de hautes herbes libérant sur nous quantité de petits épis floconneux, nous tombons sur trois hommes s'activant à faucher un bout de terrain à flan de montagne. L'un d'eux fait particulièrement penser à un évadé de goulag : maigre, casquette protégeant ses yeux bleus caverneux, au regard pourtant doux, un débardeur laissant voir des tatouages de mauvaise facture. Le plus trapus nous accompagne pour nous montrer la route car nous ne comprenons rien à leurs explications et sûrement aussi parce que nous avons l'air un peu désespérés. Il nous explique par gestes qu'après le prochain col se trouve leur "dom", leur maison, où ils nous rejoindrons à la fin de leur journée de travail. On tombe sur leur campement, deux tentes à hauteur d'homme, quelques chèvres et chevaux dont s'occupent une vieille et un jeune homme. Malgré une nouvelle invitation, on décide de continuer. En fait, nous sommes toujours sur le versant de la montagne donnant sur la vallée de Naryn et n'avons pas passé le col permettant d'accéder au versant sud, vers la vallée de At-Bashi. Dans la forêt, les sacoches râpent contre les arbres. On se repère au GPS. Le lit asséché de la rivière en contrebas remonte vers le chemin que nous souhaitions prendre. On décide d'aller le rejoindre, avec l'espoir que les sources d'eau indiquées sur la carte sont bien là. La pente est toujours raide et il nous faut mettre pied à terre de nombreuses fois. Il pleut un peu. Mais en haut de la petite vallée, la vue est sublime. De belles montagnes rocheuses nous font face, derrière nous loin en contrebas se dévoile la vallée de Naryn et ses petites montagnes basses et arides, comme les vagues d'une mer immobile. il est tard. Nous continuons la recherche de l'eau et du pâturage. On arrive à un endroit un peu plat, avec un peu d'herbe. Tant pis pour l'eau, on décide de camper là. D'un des troupeaux autour de nous sort un jeune cavalier. Nous ne comprenons rien à ce qu'il nous dit, et ne voulons surtout pas comprendre que nous ne pourrions pas dormir là. Il repart vers la petite maison de bois que nous avions vu plus bas et revient avec une jeune fille qui nous lance, dans un anglais hésitant "How are you ?".

Kimbat nous invite à venir dans sa famille, prendre le thé. La maison abrite Beïchan, le frère aîné de Kimbat et le chef de famille, sa femme Goulaï, fine et intelligente, deux adolescents, Bikbolat et Bikpoto, et deux petites filles espiègles, Simbat et Zinat. Tous ont des traits de visages d'une incroyable finesse, la silhouette athlétique. Cette famille rayonne de beauté. Kimbat étudie le tourisme et de ce fait apprend l'anglais. Timide, elle rougit constamment en jouant les traductrices entre nous et sa famille. Après le thé, Gaëlle va aux toilettes pour une séance pipi commune en regardant les lumière de Naryn. Les hommes s'occupent des chevaux sans avoir grand chose à se dire. Inévitablement, on nous invite à dormir, et nous acceptons avec bonheur la chaleur de cet accueil et du poële de la maison. Soirée douce et gaie. Ils sont épatés par notre parcours et nous encouragent sans cesse à nous resservir pour faire des réserves. Tandis que nous nous endormons tout habillés entre les couvertures et les fins matelas à l'intérieur, Beïchan et Gulaï s'installent sous le porche de la maisonnette, dans d'épais duvets, avec Zinat, pour veiller sur les moutons parqués à proximité, des loups pouvant les attaquer.

Le lendemain, nous chevauchons une demi-heure jusqu'au plus proche point d'eau. Le filet du ruisseau est mince. Une fois le point idéal trouvé, Beïchan dégage quelques pierres et forme une retenue avec des mottes de terre humides. Au milieu, il place un goulot de bouteille plastique d'où sort ainsi un flux un peu plus important et limpide. Ils y remplissent plusieurs bidons. L'opération se répète probablement chaque matin. Beïchan tient à nous dessiner un petit plan, peu causant, pour la suite de l'itinéraire. Nous quittons à regret cette famille si accueillante et après un ultime passage raide et empierré où la puissance et l'adresse de nos chevaux nous étonne une nouvelle fois, nous franchissons enfin le col menant au versant sud de la montagne qui nous conduira jusqu'à la vallée d'At-Bashi.

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Commentaires
H
Quel plaisir de vous lire! aussi intéressant que Bernard Ollivier.<br /> Je vous embrasse.
Pas à pas ...
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