DE BAMAKO A MOPTI - Novembre 2008
Nous
rencontrons le fleuve Niger à Ségou. Il nous accompagnera un long bout de
chemin dans les prochaines semaines. La ville, calme et aérée s'étire le long
du fleuve. On se promène dans le marcher de la ville, coloré et doucement
agité, et dans l'ancien quartier colonial, aux maisons caractéristique de style
dit "soudanais". Puis à bord d'un mini-bus surchargé comme il se
doit, nous partons le long du delta du Niger. Alors que le crépuscule approche,
un paysage étrangement ordonné défile sous nos yeux. Profitant de la proximité
du fleuve, un vaste réseau d'irrigation a été aménagé lors de la colonisation
pour favoriser la culture du coton dans cette zone plane. Aujourd'hui, les
rizières ont remplacé les champs de coton. La route longe un large canal et des
arbres la bordent à l'entrée de chaque village. Ce paysage si sage d'une nature
contrôlée et apprivoisée est un peu insolite en terre africaine. Alors que la
nuit tombe, nous succombons à une idée qui nous trottent dans la tête depuis le
début du voyage : nous arrêter au milieu de nul part et voir se qui se passe.
On quitte le minibus déglingué en face d'un joli village arboré, Kokri. Un
homme nous indique la direction de la concession du maire du village. Là, un accueil
chaleureux nous attend. Le maire est flatté de recevoir la visite inattendue de
2 étrangers. Nous expérimentons réellement l'adage qui veux qu'en Afrique, il y
aura toujours de quoi recevoir l'étranger de passage. Le maire nous invite à
manger et nous trouve un endroit où dormir. On discute un peu dans la fraicheur
de la cour de la concession familiale, qu’entourent en carré les pièces
d'habitations de chaque famille de la Grande Famille. Le lendemain, nous nous réveillons
avec les doux champs des enfants de l'école maternelle... Que demander de plus
?
Au gros bourg suivant, on nous trouve une pinasse qui part s'approvisionner à
un marcher en aval. L'embarcation fend paisiblement l'immense étendue d'eau où
se reflète ciel et rivages. Petit trafic de pinasses en bois hérissées de
marchandises, d'animaux parfois, et de passagers. Sur le fleuve, des gestes
insignifiant prennent des dimensions mystiques, comme cet homme saluant au loin
des villageois les bras en V, les paumes de la main face à la rive, un chapelet
pendu au poignet. Après un splendide coucher de soleil, nous débarquons à
Diafarabé. En l'absence du maire, c'est son frère Kassoum, d'à peu près notre
âge qui nous reçoit.
Nous passons finalement 6 jours dans cette ville, en compagnie de Kassoum.
Arrivés le mardi, on nous invite à rester jusqu'au samedi pour assister à la
Grande Traversée du fleuve Niger par les troupeaux de zébus. Plein de fierté,
on nous signale que l'événement est maintenant classé au patrimoine mondial
immatériel de l'UNESCO. Nous profitons encore d'un accueil extraordinaire. Nous
logeons dans une pièce poussiéreuse mais indépendante dans la concession de la
grande famille du maire, Lamine Djiré, personnage autoritaire mais plein d'une sympathique
énergie. On nous convie systématiquement à partager avec la famille les trois
repas de la journée. Aucune contribution ne nous sera demander, mais nous
laissons un petit pécule en fin de séjour à la femme du maire, qui l'accueille
avec un sourire simple. Dans notre coin de concession, les enfants du maire,
Modibo, Nana, Oumou, et Babarou, assurent l'animation. Gaëlle passe avec eux de
longs moments d'échanges rieurs. C'est un plaisir de discuter avec Kassoum.
Diplômé en comptabilité, il "chôme" depuis 3 ans, Il s'est marié
religieusement pour régulariser une grossesse en cour, mais n'a pas les moyens
pour l'instant de faire face aux dépenses des festivités prévues pour un
mariage. Il vit à Ségou, mais face à la pression des naissances à venir (il va
avoir des jumeaux), il s'est réfugié pour quelques temps dans le village familial.
Sa sœur aînée, qui l'a en partie élevé lui prête une oreille attentive. Dans sa
case en banco, au mobilier sommaire, éclairée par un néon faiblard, une
touchante conversation s'engage entre le frère venu chercher conseils et avis,
et la sœur à l'attention quasiment palpable dans l'air.
Nous assistons en coulisse au préparatif de la Grande Traversée. Nombreux
seront les ministres et notables pour assister à l'événement. Lors de réunion plénière
en Mairie, outre l'intendance et la logistique, le principal problème est de
faire rentrer les impôts et taxes dues pour financer l'événement. Notamment les
5000 francs CFA de droit de passage pour chaque troupeau. Le rythme lent de la
palabre s'impose. Le maire donne des instructions jusque dans les moindres
détails. Face au montant risible des contributions des commerçants, le maire
commence à énoncer publiquement les contributions de chacun avec force
commentaire :" Monsieur Un tel, 100 francs CFA. Mais c'est un assassinat
çà !". On débat pour savoir si les bouchers sont des commerçants, et donc
taxables, ou des artisans. Face à la lenteur du processus, l'assistance
s'exaspère parfois, mais le plaisir de chacun à prendre part à la palabre est
évident.
On se balade aussi dans Diafarabé, ville aux maisons de banco, enserrée par des
bras du fleuve Niger et un de ses affluents. En fait nous réalisons que nous
sommes sur une île. Bozos, Bambara, et Peuls cohabitent. Traditionnellement,
l'imam est bozo, le chef de village peul (ce sont les fondateurs de la ville),
et le maire bambara. Les quartiers ont une identité ethnique, mais leurs
populations sont tout de même mélangées, sauf peut-être le quartier peul
historique. Seuls les tas de sacs plastiques, troublent la promenade dans le
bourg et les hameaux alentours.
La veille de la Grande Traversée, nous assistons à une fête où des femmes dansent
avec une grâce affectée de nonchalance, sur une musique rythmique et lancinante
que donne un tambour, une calebasse, et une flute peule, amplifiée par un haut
parleur apportant une touche "trash", mais bizarrement en accord avec
l'ambiance générale. Les jeunes pasteurs peuls après de longs mois de transhumance
solitaire, fiers de leur retour triomphal à la tête de leur troupeau, sont très
excités. Dans la rue, l'un d'eux plaque sans préavis sa main sur le sexe d'une
jeune fille qui la retire en pouffant de rire. Des regards échangés, des mains
qui s'étreignent, témoignent d'amours naissant.
La Grande Traversée, nous y assisterons depuis l'autre rive du fleuve, d'où
partent les troupeaux. Sur une large partie du rivage, des centaines de zébus
sont regroupés en troupeau. A hauteur de bête, c'est une forêt de cornes
longues et épaisses, déclinant toutes les nuances du marron. Les beuglements
s'étirent dans l'air. Les bergers ont revêtu leurs plus beaux boubous. Certains
portent des chapeaux en cuire et vannerie. D'autres ont le visage tatoué d'un
henné vert émeraude. Tous sont équipés de leur bâton de berger caractérisé par
un nœud sculpté dans le bois à une extrémité. Ils tournent en groupe, dansent
et crient, autour des bêtes déroutées par cette agitation. Pour l'occasion, les
plus beaux zébus ont été peints de motifs colorés et géométriques. Les bergers
se saluent, vont d'un troupeau à l'autre dans une effervescence retenue par
l'attente de la traversée. Des militaires assurent le service d'ordre, mais les
organisateurs sont des chefs peuls. On discute vivement pour convenir de
l'ordre de passage de chaque troupeau. Soudain, s'élance le premier d'entre eux.
Les bergers les plus jeunes suivent à la nage. D'autres supervisent depuis les petites
pinasses bozos, où sont également embarqués les veaux les plus jeunes. Après
une demi-heure de départs ordonnés, la confusion l'emporte, et plusieurs
troupeaux partent en même temps. Le cours du fleuve est zébré de longues
traînées de cornes. Les troupeaux s'étirent en courbes accentuées par l'effet
du courant. Les têtes de bétail dodelinent au rythme de la nage, leurs
mouvements accentués par les cornes disproportionnées. Nous regagnions la
ville, la tête pleine de cette agitation. Dans les rues, les jeunes pasteurs
continuent leur défilé, chacun affublé d'un gros transistor, sauvé des années
70, en bandoulière autour du coup, un peigne fiché dans leur coiffure afro. Le
soir, les danses reprennent. Les femmes et les jeunes filles portent de grosses
boucles d'oreilles dorées qui forment des vagues. Leur cheveux sont finement
tressés et plaqués le long du crane. Les lèvres de leurs bouches, qui
pendouillent disgracieusement, sont cerclées de tatouage. La soirée sera
longue, mais nous avons eu notre compte de couleur, de mouvement, et de bruit.
Après
une journée d’attente, à l’abri d’une tonnelle sur le bord du fleuve, nous
embarquons sur une pinasse publique à destination de Mopti. On se ménage une
place pour dormir sur le toit plat, à côté d’hommes déjà installés. Le pont est
occupé par de gros sacs de riz et des femmes accompagnées de leurs enfants. Le
vent rend la nuit fraîche. Le lendemain, au rythme lent de notre embarcation –
24 heures seront nécessaires pour couvrir 125 km – les beaux villages de banco
se succèdent. D’autres villages, bozos, aux maisons de pailles plus faciles à
transporter quand vient le temps de suivre les poissons en amont ou en aval du
fleuve, sentent le poisson. Sur la rive, la vie quotidienne se laisse
apercevoir : des femmes nettoient leurs marmites, des pêcheurs lancent
leurs filets, des enfants nus s'amusent dans l’eau. Un coucher de
soleil nous offre une fois encore de magnifiques couleurs quand apparaissent
enfin les lumières de Mopti.